7 octobre 2023 : Une journée dont le souvenir vivra dans l’infamie. Pearl Harbor en Israël. Le 11 septembre en Israël. La matinée paisible de shabbat de Sim'hat Torah, qui concluait la fête juive des Tabernacles, s’est soudain métamorphosée en un bain de sang. Sous le couvert de tirs nourris de roquettes, des milliers de terroristes du Hamas ont attaqué les communautés du sud d'Israël, laissant derrière eux une scène de carnage et désolation ; ils ont tendu des embuscades aux bases militaires et aux automobilistes, assassiné quelque 260 jeunes assistant à un festival de musique, massacré des familles dans leurs lits, violé des femmes, exécuté des enfants et des survivants de l'Holocauste, brûlé vifs des civils et kidnappé plus de 240 Israéliens désormais détenus à Gaza. Avec le décompte de plus de 1 200 morts, ce jour a été le plus meurtrier pour les Juifs depuis l’Holocauste. La barbarie des attaques du Hamas était à ce point inédite que le monde en a été brutalement – même si brièvement – sorti de son habituelle apathie et sous le choc plongé dans l’horreur.

Mais l’indignation fut de courte durée. Dès qu’Israël a commencé à répondre militairement à l’acte de guerre du Hamas, des manifestations pro-palestiniennes ont éclaté à travers le monde, nombre d’entre elles se transformant rapidement en rallyes de haine anti-israéliens et anti-juifs. Certains ont même nié qu’il y ait eu un massacre et ce malgré les nombreux témoignages de survivants.

Les réactions des catholiques au massacre et à la guerre qui a suivi ont varié, allant du jugement moral lucide et courageux à une expression ambiguë et discutable, jusqu’au silence assourdissant. Alors que certains soutiennent le droit d'Israël à se défendre, d'autres ont opté pour la neutralité, estimant qu'il est plus « chrétien » de ne pas prendre parti et de condamner de manière strictement égale les pertes de vies humaines de tous les côtés. Cette posture d’équivalence morale suggère que les deux parties au conflit partagent un blâme égal et une responsabilité morale équivalente pour les conséquences de leurs actes. Intellectuellement, c’est une voie facile à suivre. Mais est-ce moralement juste ?

Les patriarches et chefs des églises de Jérusalem constituent un groupe représentatif de ce recours systématique à l’équivalence morale. Un bref aperçu de leurs réactions à la crise, ainsi que des réponses de l’ambassade israélienne auprès du Saint-Siège, illustre toute la problématique de ce positionnement moral.

En cette matinée du 7 octobre, alors que le massacre du Hamas se poursuivait, le patriarcat latin de Jérusalem a immédiatement publié une déclaration chargée d’équivalence morale. Au lieu de condamner sans équivoque le massacre en cours, le patriarcat a affirmé que le « cycle de violence qui a tué de nombreux Palestiniens et Israéliens au cours des derniers mois a explosé ce matin ». La déclaration se poursuivait avec la référence vague à une « explosion soudaine de violence », évoquant « l'opération lancée depuis Gaza et la réaction de l'armée israélienne » – comme si les deux parties étaient également fautives. Les « nombreuses victimes et tragédies » affligeant « à la fois les familles palestiniennes et israéliennes », poursuit le communiqué, « créeraient davantage de haine et de division » et « détruiraient de plus en plus toute perspective de stabilité ».

L’après-midi du même jour, l'ambassade d'Israël auprès du Saint-Siège publiait une première déclaration qui, bien que n'étant pas directement adressée au Patriarcat, sonnait comme une réponse à celui-ci. L'ambassade avertissait qu'étant donné l'ampleur du massacre en cours perpétré par le Hamas, "l'utilisation d'ambiguïtés linguistiques et de termes suggérant une fausse symétrie devrait être déplorée". La réponse d’Israël au « crime de guerre hideux » du Hamas était une légitime défense, et « faire des parallèles là où ils n’existent pas n’est pas du pragmatisme diplomatique, c’est tout simplement faux ».

Les patriarches et les chefs des églises de Jérusalem ne se sont pas découragés pour autant. Ils ont publié dès le lendemain une « Déclaration sur la paix et la justice au milieu de la violence » qui était tout aussi moralement ambiguë. Cette seconde déclaration taisait les meurtres du Hamas, déplorant dans une terminologie des plus générique que la Terre Sainte soit "actuellement plongée dans la violence et la souffrance en raison du conflit politique prolongé et de l'absence lamentable de justice et de respect des droits de l'homme".

Bien que les patriarches et les chefs d'églises aient déclaré qu'ils « condamnent univoquement tout acte visant des civils », ils ont essentiellement laissé entendre qu'Israël ne devrait pas trop s'inquiéter des centaines de morts, blessés, violés et kidnappés, demandant dès lors « la cessation de tous les actes et violences militaires qui portent préjudice aux civils palestiniens et israéliens. » Autrement dit, Israël devrait supporter sans broncher le poids des atrocités commises au cours des attaques barbares et laisser littéralement le Hamas commettre des meurtres en toute impunité en mettant immédiatement un terme à sa réponse militaire. Peu importe le fait que le Hamas ait déclenché la guerre unilatéralement et brutalement en commettant des crimes sans précédent contre une population civile sans méfiance.

Le 9 octobre, l'ambassade d'Israël auprès du Saint-Siège a répondu, déplorant de nouveau "l'immoralité du recours à l'ambiguïté linguistique" compte tenu de l'ampleur du massacre, alors qu'il était devenu clair que des familles entières avaient été "exécutées de sang-froid" par le Hamas et le Jihad islamique. Alors que beaucoup d’autres dans le monde avait suffisamment d'intégrité pour condamner « ce crime odieux, en nommant ses auteurs et en reconnaissant le droit fondamental d'Israël à se défendre contre cette atrocité », les patriarches et les chefs d'églises ont été incapables d’opter pour l’évidence morale. L'ambassade israélienne a trouvé leur déclaration « extrêmement décevante et frustrante » car elle illustrait précisément « l'ambiguïté linguistique immorale » qui brouille les lignes sur « ce qui s'est réellement passé, qui étaient les agresseurs et qui étaient les victimes ». L'ambassade a ajouté qu'il était « particulièrement incroyable qu'un document aussi stérile ait été signé par des personnes de foi ».

Le 11 octobre, le pape François a déclaré un peu plus franchement que c'est "le droit de ceux qui sont attaqués de se défendre", tout en ajoutant qu'il était "très préoccupé par le siège total dans lequel vivent les Palestiniens à Gaza, où il y a également eu de nombreuses victimes innocentes. »

Mais les patriarches et les chefs d'Églises ont redoublé leur équivalence morale, en publiant le 12 octobre une « Déclaration sur l'escalade de la crise humanitaire à Gaza ». Dans cette nouvelle déclaration, ils ont déploré que leur « Terre Sainte bien-aimée » ait « radicalement changé » en raison d'un « nouveau cycle de violence avec une attaque injustifiable contre tous les civils ». Les patriarches et chefs des Eglises ont surtout déploré "la mort et la destruction à Gaza" et la "catastrophe humanitaire désastreuse" qu'ils attribuent au fait que la population gazaouie est "privée d'électricité, d'eau, de carburant, de nourriture et de médicaments". Une fois de plus, ils ont appelé à une désescalade de la guerre.

L'ambassadeur israélien auprès du Saint-Siège, Raphael Schutz, a qualifié cette déclaration de « troublante » et a longuement répondu en passant en revue les événements.

Schutz a rappelé aux dignitaires que le terme « cercle de violence » était une « expression typique de fausse symétrie » parce que les hostilités

ont commencé par une attaque criminelle non provoquée du Hamas et du Jihad islamique (les patriarches s'abstiennent de mentionner leurs noms) assassinant plus de 1 300 Israéliens et 35 autres nationalités, pour la plupart des civils. Ils ont également violé des femmes, brûlé des bébés, décapité et pris des otages. Simultanément, ils ont lancé un large spectre d'attaques de missiles et de roquettes sur des centres abritant des populations civiles en Israël - villes, villages, kibboutzim.

L'ambassadeur a ajouté que "l'action en légitime défense d'Israël vise le Hamas et le Jihad islamique" et qu'Israël ne cible pas intentionnellement les civils".

Il est bien connu que Tsahal avertit les civils palestiniens au moyen de tracts, de SMS et même d’appels téléphoniques, leur demandant d’évacuer les zones proches des cibles militaires avant qu’elles ne soient attaquées. Alors que Tsahal fait tout son possible pour minimiser les pertes civiles, le Hamas et d’autres groupes terroristes palestiniens font tout leur possible pour les maximiser – non seulement en tuant sans discernement des Israéliens, mais aussi en se cachant parmi leur propre population civile et en les utilisant comme boucliers humains, ce qui entraîne un nombre disproportionné de victimes palestiniennes. Dans cette optique, a poursuivi l'ambassadeur israélien, la déclaration des patriarches ne peut être considérée que comme « injuste, partiale et unilatérale ».

Quant à « la mort et la destruction à Gaza », les patriarches semblaient avoir oublié que « Gaza est la base à partir de laquelle l'attaque génocidaire contre Israël a été conçue, planifiée et exécutée. Qui est donc responsable de « la mort et de la destruction ? » L'ambassadeur a interrogé les raisons mêmes pour lesquelles les patriarches se montraient préoccupés par « le bien-être de ce nid du mal et de la terreur » à l’exclusion de celui des communautés israéliennes dévastées.

En effet, selon les derniers sondages, une majorité de l'opinion publique palestinienne soutient la « lutte armée » (terrorisme) du Hamas contre Israël et la formation de groupes armés pour assassiner des Israéliens, donnée statistique qui jette le doute sur la totale innocence des « Palestiniens ordinaires » à Gaza.

Pour ce qui est de la situation humanitaire, l'ambassadeur d’Israël a répondu que « les volumes de nourriture et d'eau sont surveillés quotidiennement et sont supérieurs aux seuils à partir desquels une crise humanitaire est caractérisée ». De plus, le Hamas possède toujours des stocks de carburant et d'électricité, « mais il préfère les utiliser pour poursuivre ses activités criminelles terroristes contre Israël plutôt que de satisfaire aux besoins de la population qu’ils dominent. » Il s’avère qu’il y a encore beaucoup d’eau, nourriture, carburant et médicaments à Gaza.

Enfin, l'ambassadeur a noté que les patriarches n'ont désigné qu'un seul camp : Israël, en formulant des exigences déraisonnables envers « le parti qui a été vicieusement attaqué ». Le Hamas n’est jamais mentionné ce qui donne le sentiment que les Palestiniens n’ont rien fait de mal. Il conclut : "Quelle honte, surtout quand cela vient du peuple de Dieu".

Mais encore une fois, les vérités assenées par Schutz tombèrent dans l’oreille d’un sourd. Le 24 octobre, le patriarche latin de Jérusalem, le cardinal Pier Battista Pizzaballa, a publié une « Lettre au diocèse ». A son crédit, il a brièvement déclaré en préambule (toujours sans nommer le Hamas) que « ce qui s'est produit le 7 octobre dans le sud d'Israël n'est en aucun cas permis, et nous ne pouvons que le condamner. Aucune raison ne peut justifier une telle atrocité ».

Cependant, Pizzaballa s'est étendu plus longuement sur la condamnation des pertes en vies humaines et des souffrances que « ce nouveau cycle de violence a causé dans Gaza », ajoutant que les « bombardements lourds et nourris » sur Gaza « ne feront que causer davantage de morts et de destructions et ne feront qu'augmenter haine et ressentiment. » Pour le patriarche, ce n'est « qu'en mettant fin à des décennies d'occupation et ses conséquences tragiques, ainsi qu'en donnant une perspective nationale claire et sûre au peuple palestinien qu'un processus de paix sérieux pourra commencer ».

Et voilà : pour le patriarche, la racine du conflit n'est pas le massacre aveugle de centaines de familles, dont des femmes, des enfants et des personnes âgées, perpétré par le Hamas, mais « l'occupation ».

Laissant de côté l’injustice flagrante de ces déclarations, on ne peut s’empêcher de se demander : à quoi pense le patriarche et les chefs des Églises, quelle solution ont-ils en tête ? Leurs déclarations soulèvent plusieurs questions.

Premièrement, si « l’occupation » est le problème qui tourmente Gaza depuis dix-huit ans ? Israël a évacué unilatéralement tous les colons juifs de la bande de Gaza en 2005, la remettant entièrement aux Palestiniens dans l'espoir qu'en se gouvernant eux-mêmes, ils pourraient enfin tenter de vivre en paix avec leurs voisins.

Mais les Palestiniens ont élu le Hamas au pouvoir lors des élections législatives de 2006. Après une guerre civile sanglante avec son rival palestinien, le Fatah, le Hamas contrôlait entièrement la bande de Gaza en juin 2007. Depuis lors, les civils israéliens du sud d’Israël vivent dans la terreur, visés année après année par des dizaines de milliers d’attaques meurtrières à la roquette lancées depuis la bande de Gaza. S’il y a un problème « d’occupation » à Gaza, l’occupant est le Hamas et non Israël.

Deuxièmement, que devrait faire Israël ? Doit-il oublier ses morts plus de 1 200, ses blessés plus de 4 800 et ses otages plus de 240 kidnappés, accepter un cessez-le-feu immédiat et reprendre ses activités comme à l’accoutumé, c’est-à-dire se préparer aux prochaines attaques et massacres du Hamas ? Doit-il s’asseoir à la table des négociations et discuter avec un ennemi djihadiste qui a juré de l’anéantir ? Ou devrait-il ouvrir la frontière de Gaza, donner aux Palestiniens la liberté de mouvement et les laisser aller et venir à leur guise afin qu’ils puissent mettre en œuvre leurs plans déclarés visant à répéter les attaques du 7 octobre ?

Troisièmement, pourquoi les patriarches et les chefs d'Églises se focalisent-ils sur « l'occupation » tout en ignorant systématiquement l'incitation terrifiante à la violence qui imprègne la société palestinienne, où les enfants apprennent dès leur plus jeune âge à haïr et à tuer les Juifs, et où les terroristes qui le font sont glorifiés et honorés comme des « martyrs » ?

Les patriarches et les chefs d’Églises pourraient répondre qu’ils ne peuvent pas condamner ouvertement le Hamas et les autres groupes jihadistes palestiniens car une telle condamnation mettrait en danger les chrétiens palestiniens qui vivent parmi eux. Assez juste. Mais cela ne peut pas être une excuse pour falsifier le récit du conflit au moyen d’une équivalence morale douteuse, ou pire, en accusant Israël d’être le principal coupable. Les déclarations de ces dirigeants ont du poids. Ils influencent les autres. Dieu et l’histoire les jugeront s’ils propagent de faux récits et incitent les autres à les croire.

Alors que les dignitaires de l’Église en Israël doivent soigneusement peser leurs déclarations en raison de la situation précaire des chrétiens palestiniens, ceux des autres pays n’ont pas une telle excuse. En fin de compte, adopter une posture d’équivalence morale à l’égard du conflit Israël-Hamas n’est pas seulement constitutif d’une paresse intellectuelle ; c'est immoral. Même si les pertes palestiniennes sont tragiques, elles sont la conséquence inévitable de leur choix d’élire et de maintenir au pouvoir un groupe terroriste génocidaire qui a juré de mener une guerre perpétuelle avec Israël.

Les chrétiens feraient bien de se rappeler les paroles d'Elie Wiesel, survivant de l'Holocauste :

Nous devons toujours prendre parti. La neutralité aide l'oppresseur, jamais la victime. Le silence encourage le persécuteur, jamais le persécuté. (Discours de remise du prix Nobel de la Paix, 10 décembre 1986).

Dans cette guerre, les chrétiens — and nous tous — avons la responsabilité morale de soutenir la lutte d’une nation civilisée contre la barbarie ; la première prend racine dans les valeurs de la Bible, la seconde dans le djihadisme islamique. Dans l’intérêt de la paix tant pour les Israéliens que pour les Palestiniens, Israël doit éradiquer le Hamas. Il n’existe pas d’autre solution viable.

Traduction: Adrienne Cazenobe

André Villeneuve est professeur agrégé d'Ancien Testament et de langues bibliques au Grand Séminaire Sacré-Cœur de Détroit, Michigan. Il a obtenu son doctorat à l'Université hébraïque de Jérusalem et sa licence en Écriture Sainte auprès de la Commission Biblique Pontificale à Rome. Il est l'auteur de Divine Marriage from Eden to the End of Days (2021) et directeur de Catholiques pour Israël.

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