Commission pour les relations religieuses avec le Judaïsme

DOCUMENTATION SUPPLÉMENTAIRE

NOTES

POUR UNE CORRECTE PRÉSENTATION DES JUIFS ET DU JUDAÏSME
DANS LA PRÉDICATION ET LA CATÉCHÈSE DE L’ÉGLISE CATHOLIQUE 

 

Considérations préliminaires 

Le pape Jean Paul II disait, le 6 mars 1982, aux délégués des conférences épiscopales et aux autres experts réunis à Rome pour étudier les relations entre Église et Judaïsme: 

«…vous vous êtes préoccupés, pendant votre session, de l’enseignement catholique et de la catéchèse par rapport aux juifs et au judaïsme… Il faudrait arriver à ce que cet enseignement, aux différents niveaux de formation religieuse, dans la catéchèse donnée aux enfants et aux adolescents, présente les juifs et le judaïsme, non seulement de manière honnête et objective, sans aucun préjugé et sans offenser personne, mais plus encore avec une vive conscience de l’héritage commun» aux juifs et aux chrétiens.

Dans ce texte au contenu si dense, le Saint Père s’inspirait visiblement de la déclaration conciliaire «Nostra Aetate», n. 4, où il est dit:

«Que tous aient donc soin, dans la catéchèse et la prédication de la Parole de Dieu, de ne rien enseigner qui ne soit conforme à la vérité de l’Evangile et à l’esprit du Christ», comme aussi des paroles: «Du fait d’un si grand patrimoine spirituel, commun aux chrétiens et aux juifs, le Concile veut encourager et recommander entre eux la connaissance et l’estime mutuelle…».

De même, les «Orientations et Suggestions pour l’application de la déclaration conciliaire “Nostra Aetate”, n. 4», finissaient leur chapitre III, intitulé «Enseignement et éducation», où l’on énumère une série de données concrètes à y mettre en oeuvre, par cette recommandation:

«L’information au sujet de ces questions concerne tous les niveaux d’enseignement et d’éducation du chrétien. Parmi les moyens d’information, ceux qui suivent ont une importance particulière:

– Manuels de catéchèse;
– Livres d’histoire;
– Moyens de communication sociale (presse, radio, cinéma, télévision). 

L’usage efficace de ces moyens présuppose une formation approfondie des enseignants et des éducateurs, dans les écoles normales, les séminaires et les universités» (AAS 77, 1975, p. 73).

C’est à ce but qu’entendent servir les paragraphes qui suivent. 

 

I. Enseignement religieux et Judaïsme

1. Dans la Déclaration «Nostra Aetate» n. 4, le Concile parle du «lien qui unit spirituellement» chrétiens et juifs, du «grand patrimoine spirituel, commun» aux uns et aux autres et il affirme encore que «l’Église reconnaît que l’origine de sa foi et de son élection se trouve, selon le dessein de Dieu, chez les Patriarches, Moïse et les Prophètes». 

2. En raison de ces rapports uniques qui existent entre le christianisme et le judaïsme «liés au niveau même de leur propre identité» (Jean Paul II, 6 mars 1982), rapports «fondés sur le dessein du Dieu de l’Alliance» (ibid.), les juifs et le judaïsme ne devraient pas occuper une place occasionnelle et marginale dans la catéchèse et la prédication, m’ais leur présence indispensable doit y être intégrée de façon organique. 

3. Cet intérêt pour le judaïsme dans l’enseignement catholique n’a pas seulement un fondement historique ou archéologique. Comme le disait la Saint Père, dans le discours déjà cité, après avoir de nouveau mentionné le «patrimoine commun» entre Église et Judaïsme, qui est «considérable»: «En faire l’inventaire en lui-même, mais aussi en tenant compte de la foi et de la vie religieuse du peuple juif, telles qu’elles sont professées et vécues encore maintenant, peut aider à mieux comprendre certains aspects de la vie de l’Église» (soulignement ajouté).

Il s’agit donc d’une préoccupation pastorale pour une réalité toujours vivante, en rapport étroit avec l’Église. Le Saint Père a présenté cette réalité permanente du peuple juif, avec une remarquable formule théologique, dans son allocution aux représentants de la communauté juive de l’Allemagne Fédérale à Mayence, le 17 novembre 1980: «…le peuple de Dieu de l’Ancienne Alliance, qui n’a jamais été révoquée…». 

4. Il faut rappeler déjà ici le texte dans lequel les «Orientations et Suggestions» (1) ont cherché à définir la condition fondamentale du dialogue: «le respect de l’autre tel qu’il est», la connaissance «(des composantes) fondamentales de la tradition religieuse du Judaïsme…», et encore l’apprentissage des «traits essentiels (par lesquels) les juifs se définissent eux-mêmes dans leur réalité religieuse vécue» (Intr ). 

5. La singularité et la difficulté de l’enseignement chrétien concernant les juifs et le judaïsme, consistent surtout en ce qu’il exige de tenir en même temps les termes de plusieurs couples en lesquels s’exprime le rapport entre les deux économies de l’Ancien et du Nouveau Testament:

Promesse et accomplissement
Continuité et nouveauté
Singularité et universalité
Unicité et exemplarité. 

Il importe que le théologien ou le catéchiste qui traite de ces choses ait le souci de montrer, dans la pratique même de son enseignement, que:

– la promesse et l’accomplissement s’éclairent mutuellement;
– la nouveauté consiste dans une métamorphose de ce qui était auparavant;
– la singularité du peuple de l’Ancien Testament n’est pas exclusive et qu’elle est ouverte, dans la vision divine, à une extension universelle;
– l’unicité de ce même peuple juif est en vue d’une exemplarité. 

6. Finalement, «en ce domaine, l’imprécision et la médiocrité nuiraient énormément» au dialogue judéo- chrétien (Jean Paul II, discours du 6 mars 1982). Mais elles nuiraient surtout, étant donné qu’il s’agit d’enseignement et éducation, à la «propre identité» chrétienne (ibid.). 

7. «En vertu de sa mission divine, l’Église», qui est «moyen général de salut» et en laquelle seule se trouve «toute la plénitude des moyens de salut» (Unit. Red. 3), «par nature doit annoncer Jésus Christ au monde» (Orientations et Suggestions, 1). En effet nous croyons que c’est par Lui que nous allons au Père (cf. Jn 14, 6) et que «la vie éternelle, c’est qu’ils te connaissent toi, le seul véritable Dieu, et son envoyé Jésus Christ» (Jn 17, 3).

Jésus affirme (ib. 10, 16) qu’«il y aura un seul troupeau, un seul pasteur». Église et Judaïsme ne peuvent donc pas être présentés comme deux voies parallèles de salut et l’Église doit témoigner du Christ Rédempteur à tous, dans «le plus rigoureux respect de la liberté religieuse telle qu’elle a été enseignée par le Deuxième Concile du Vatican (Déclaration Dignitatis Humanae)» (Orientations et Suggestions, 1). 

8. L’urgence et l’importance d’un enseignement précis, objectif et rigoureusement exact sur le Judaïsme, chez nos fidèles, se déduit aussi du danger d’un antisémitisme toujours en train de reparaître sous différents visages. Il ne s’agit pas seulement de déraciner, dans nos fidèles, les restes d’antisémitisme que l’on trouve encore ici et là, mais bien plus de susciter en eux, moyennant cet effort éducatif, une connaissance exacte du «lien» (cf. Nostra Aetate, 4) tout à fait unique qui, comme Église, nous relie aux Juifs et au Judaïsme. On leur apprendrait ainsi à les apprécier et à les aimer, eux qui ont été choisis par Dieu pour préparer la venue du Christ et qui ont conservé tout ce qui a été progressivement révélé et donné au cours de cette préparation, malgré leur difficulté à reconnaître en lui leur Messie. 

 

II. Rapports entre Ancien* et Nouveau Testament  

1. Il s’agit de présenter l’unité de la Révélation biblique (AT et NT) et du dessein divin, avant de parler de chacun des événements de l’histoire, pour souligner que chaque événement ne prend sens que considéré dans la totalité de cette histoire, de la création à l’achèvement. Cette histoire concerne tout le genre humain et particulièrement les croyants. C’est ainsi que le sens définitif de l’élection d’Israël n’apparaît qu’à la lumière de l’accomplissement total (Rom 9-11) et que l’élection en Jésus Christ est encore mieux comprise en référence à l’annonce et à la promesse (cf. Hébr 4, 1-11). 

2. Il s’agit d’événements singuliers concernant une nation singulière mais qui, dans la vision de Dieu qui révèle son propos, sont destinés à recevoir une signification universelle et exemplaire.

Il s’agit en outre de présenter les événements de l’Ancien Testament non comme des événements qui concernent seulement les juifs, mais qui nous concernent aussi personnellement. Abraham est vraiment le père de notre foi (cf. Rom 4, 11-12; Canon romain: patriarchae nostri Abrahae). Et il est dit (1 Cor 10, 1): «Nos pères ont tous été sous la nuée, tous ont passé à travers la mer». Les patriarches et les prophètes et autres personnalités de l’Ancien Testament ont été et seront toujours vénérés comme saints dans la tradition liturgique de l’Église orientale, comme aussi de l’Église latine. 

3. De l’unité du plan divin découle le problème du rapport entre l’Ancien Testament et le Nouveau. L’Église, déjà des temps apostoliques (cf. 1 Cor 10, 11; Hébr 10, 1), et puis constamment dans sa tradition, a résolu ce problème surtout au moyen de la typologie, ce qui souligne la valeur primordiale que l’Ancien Testament doit avoir dans la vision chrétienne. Cependant la typologie suscite chez beaucoup de gens un malaise et c’est là peut-être l’indice d’un problème non résolu. 

4. Dans l’usage donc de la typologie, dont nous avons reçu l’enseignement et la pratique de la Liturgie et des Pères de l’Église, on veillera à éviter toute transition de l’Ancien au Nouveau Testament qui serait considéré uniquement comme une rupture. L’Église, dans la spontanéité de l’Esprit qui l’anime a vigoureusement condamné l’attitude de Marcion** et s’est toujours opposée à son dualisme. 

5. Il importe aussi de souligner que l’interprétation typologique consiste à lire l’Ancien Testament comme préparation et, à certains égards, ébauche et annonce du Nouveau (cfr. v. gr. Hébr 5, 5-10 etc.). Le Christ est désormais la référence-clé des Ecritures: «le rocher était le Christ» (1 Cor 10, 4). 

6. Il est vrai donc et il faut aussi le souligner, que l’Église et les chrétiens lisent l’Ancien Testament à la lumière de l’événement du Christ mort et ressuscité, et que, à ce titre, il y a une lecture chrétienne de l’Ancien Testament qui ne coïncide pas nécessairement avec la lecture juive. Identité chrétienne et identité juive doivent ainsi être chacune soigneusement distinguées dans leur lecture respective de la Bible. Mais ceci n’ôte rien à la valeur de l’Ancien Testament dans l’Église et n’empêche pas que les chrétiens puissent à leur tour profiter avec discernement des traditions de lecture juive. 

7. La lecture typologique ne fait que manifester les insondables richesses de l’AT, son contenu inépuisable et le mystère dont il est rempli et ne doit pas faire oublier qu’il garde sa valeur propre de Révélation que le NT souvent ne fera que reprendre (cf. Mc 12, 29-31). D’ailleurs, le Nouveau Testament lui-même demande d’être lu aussi à la lumière de l’Ancien. La catéchèse chrétienne primitive y aura constamment recours (cf. v. gr. 1 Cor 5, 6-8; 10, 1-11). 

8. La typologie signifie en outre la projection vers l’accomplissement du plan divin quand «Dieu sera tout en tous» (1 Cor 15, 28). Ce fait vaut aussi pour l’Église qui, déjà réalisée dans le Christ, n’en attend pas moins sa perfection définitive comme Corps du Christ. Le fait que le Corps du Christ tende encore vers sa stature parfaite (cf. Eph 4, 12-13) n’ôte rien a la valeur de l’être chrétien. Ainsi la vocation des patriarches et l’Exode de l’Egypte ne perdent par leur importance et leur valeur propre dans le plan de Dieu du fait qu’ils en sont en même temps des étapes intermédiaires (cf. v.g. Nostra Aetate, n. 4). 

9. L’Exode, par exemple, représente une expérience de salut et de libération qui ne s’achève pas en elle-même, mais porte en soi, outre son sens propre, la capacité de se développer ultérieurement. Le salut et la libération sont déjà accomplis dans le Christ et se réalisent graduellement par les sacrements dans l’Église. C’est ainsi que se prépare l’accomplissement du plan de Dieu qui attend donc sa consommation définitive, avec le retour de Jésus comme Messie pour lequel nous prions chaque jour. Le Royaume, pour l’avènement duquel nous prions aussi chaque jour, sera finalement installé. Alors le salut et la libération auront transformé dans le Christ les élus et la totalité de la création (cf. Rom 8, 19-23). 

10. En outre, en soulignant la dimension eschatologique du christianisme, on arrivera à une plus grande conscience que, lorsqu’il considère l’avenir, le peuple de Dieu de l’ancienne et de la nouvelle Alliance tend vers des buts analogues: la venue ou le retour du Messie —même si c’est à partir de deux points de vue différents. Et on se rendra compte plus clairement que la personne du Messie à propos de laquelle le peuple de Dieu est divisé, est aussi un point de convergence pour lui (cf.«Sussidi per l’ecumenismo» du diocèse de Rome, n. 140).On peut dire ainsi que juifs et chrétiens se rencontrent dans une espérance comparable, fondée sur une même promesse, faite à Abraham (cf. Gen 12, 1-3; Hébr 6, 13-18). 

11. Attentifs au même Dieu qui a parlé, suspendus à la même parole, nous avons à témoigner d’une même mémoire et d’une commune espérance en Celui qui est le maître de l’histoire. Il faudrait ainsi que nous prenions notre responsabilité de préparer le monde à la venue du Messie en oeuvrant ensemble pour la justice sociale, le respect des droits de la personne humaine et des nations pour la réconciliation sociale et internationale. A cela nous sommes poussés, juifs et chrétiens, par le précepte de l’amour du prochain, une espérance commune du Règne de Dieu et le grand héritage des Prophètes. Transmise assez tôt par la catéchèse, une telle conception éduquerait de façon concrète les jeunes chrétiens à des rapports de coopération avec les juifs, allant au-delà du simple dialogue (cf. Orientations, IV). 

 

III. 

Racines juives du Christianisme 

1. Jésus était juif et l’est toujours resté; son ministère a été volontairement limité «aux brebis perdues de la maison d’Israël» (Mt 15, 24). Jésus était pleinement un homme de son temps et de son milieu juif palestinien du 1er siècle, dont il a partagé les angoisses et les espérances. Ceci ne fait que souligner soit la réalité de l’Incarnation, soit le sens même de l’Histoire du salut, comme il nous a été révélé dans la Bible (cf. Rom 1, 3-4; Gal 4, 4-5). 

2. Les rapports de Jésus avec la loi biblique et ses interprétations plus ou moins traditionnelles sont sans doute complexes et il a fait preuve à son égard d’une grande liberté (cf. les «antithèses» du sermon de la montagne: Mt 5, 21-48, en tenant compte des difficultés exégétiques; l’attitude de Jésus face à une observance rigoureuse du Shabbat: Mc 3, 1-6, etc.).

Mais il n’y a pas de doute qu’il veut se soumettre à la loi (cf. Gal 4, 4), qu’il a été circoncis et présenté au Temple, comme n’importe quel autre Juif de son époque (cf. Lc 2, 21, 22-24), et qu’il a été formé à son observance. Il en prônait le respect (cf. Mt 5, 17-20) et invitait à lui obéir (cf. Mt 8, 4). Le rythme de sa vie était scandé par l’observance des pèlerinages à l’occasion des grandes fêtes, et cela depuis son enfance (cf. Lc 2, 41-50, Jn 2, 13; 7, 10 etc.). On a remarqué souvent l’importance, dans l’Evangile de Jean, du cycle des fêtes juives (cf. 2, 13; 5, 1; 7, 2. 10. 37; 10, 22; 12, 1; 13, 1; 18, 28; 19, 42 etc.). 

3. Il est aussi à noter que Jésus enseigne souvent dans les synagogues (cf. Mt 4, 23; 9, 35; Lc 4, 15-18; Jn 18, 20, etc.) et dans le Temple (cf. Jn 18, 20, etc.), qu’il fréquentait, comme aussi ses disciples, même après la résurrection (cf. v. gr. Act 2, 46; 3, 1; 21. 26. etc.). Il a voulu insérer dans le contexte du culte de la synagogue l’annonce de sa messianité (cf. Lc 4, 16-21). Mais surtout il a voulu réaliser l’acte suprême du don de soi dans le cadre de la liturgie domestique de la Pâque, ou au moins dans le cadre de la festivité pascale (cf. Mc 14, 1. 12 et par.; Jn 18, 28). Et ceci permet de mieux comprendre le caractère de «mémorial» de l’Eucharistie. 

4. Ainsi le Fils de Dieu s’est incarné dans un peuple et une famille humaine (cf. Gal 4, 4; Rom 9, 5). Ce qui n’ôte rien, bien au contraire, au fait qu’il est né pour tous les hommes (autour de son berceau il y a les bergers juifs et les mages païens: Lc 2, 8-20; Mt 2, 1-12), et qu’il est mort pour tous (au pied de la croix, il y a encore les Juifs, dont Marie et Jean: Jn 19, 25-27, et les païens comme le centurion: Mc 15, 39 et par.). Il a ainsi fait des deux peuples un dans sa chair (cf. Eph 2, 14-17). On s’explique donc qu’avec l’Ecclesia ex gentibus il y a eu, en Palestine et ailleurs, une Ecclesia ex circumcisione, dont parle par exemple Eusèbe (H.E. IV, 5). 

5. Ses rapports avec les Pharisiens ne furent pas totalement ni toujours polémiques. Et de cela il y a de nombreux exemples: 

– ce sont des Pharisiens qui préviennent Jésus du danger qu’il court (Lc 13, 31);
– des Pharisiens sont loués, comme la «scribe» de Mc 12, 34;
– Jésus mange avec des Pharisiens (Lc 7, 36; 14, 1).  

6. Jésus partage, avec la majorité des juifs palestiniens d’alors, des doctrines pharisi ennes: la résurrection des corps; les formes de piété: aumône, prière, jeûne (cf. Mt 6, 1-18) et l’habitude liturgique de s’adresser à Dieu comme Père; la priorité du commandement de l’amour de Dieu et du prochain (cf. Mc 12, 28-34). Ce qui est aussi le cas de Paul (cf. vgr. Act 23, 8), lequel a toujours considéré comme un titre d’honneur son appartenance au groupe pharisien (cf. ib. 23, 6; 26, 5; Phil 3,5). 

7. Paul aussi, comme d’ailleurs Jésus lui-même, a utilisé des méthodes de lecture et d’interprétation de l’Ecriture et d’enseignement aux disciples, communs aux Pharisiens de leur temps. C’est le cas pour l’usage des paraboles dans le ministère de Jésus, comme aussi pour la méthode de Jésus et de Paul d’appuyer une conclusion avec une citation de l’Ecriture. 

8. Il faut encore noter que les Pharisiens ne sont pas mentionnés dans les récits de la Passion. Gamaliel (cf. Act 5, 34-39) prend la défense des apôtres dans une réunion du Sanhédrin. Une présentation exclusivement négative des Pharisien risque d’être inexacte et injuste (cf. Orientations, Note 1; cf. AAS, l.c., p. 76). Et s’il y a dans les Evangiles et ailleurs dans le NT toute sorte de références défavorables aux Pharisiens, il faut les voir contre la toile de fond d’un mouvement complexe et diversifié. Les critiques contre différents types de Pharisiens ne manquent d’ailleurs pas dans les sources rabbiniques (cf. Talmud de Babylone, Traité Sotah 22 b etc.). Le «pharisaïsme», au sens péjoratif, peut sévir dans toute religion. On peut aussi souligner le fait que, si Jésus se montre sévère envers les Pharisiens, c’est qu’il y a entre eux et lui une plus grande proximité qu’avec les autres groupes juifs contemporains (cf. supra n. 17). 

9. Tout ceci devrait aider à mieux comprendre l’affirmation de st Paul (Rom 11, 16 ss.) sur la «racine» et les «branches». L’Église et le christianisme, dans toute leur nouveauté, trouvent leur origine dans le milieu juif du premier siècle de notre ère, et plus profondément encore dans le «dessein de Dieu» (Nostra Aetate, n. 4), réalisé dans les Patriarches, Moise et les Prophètes (ibid), jusqu’à sa consommation dans le Christ Jésus. 

 

IV. Les Juifs dans le Nouveau Testament 

1. Les «Orientations…» disaient déjà (note 1): «que la formule “les Juifs” dans Saint Jean désigne parfois, suivant les contextes, “les chefs des juifs”, ou “les adversaires de Jésus”, expressions qui expriment mieux la pensée de l’évangéliste et évitent de paraître mettre en cause le peuple juif comme tel».

Une présentation objective du rôle du peuple juif dans le NT doit tenir compte de ces différentes données: 

A) Les Evangiles sont le fruit d’un travail rédactionnel long et compliqué. La Constitution dogmatique «Dei Verbum», à la suite de l’Instruction «Sancta Mater Ecclesia», de la Commission Biblique pontificale, en distingue trois étapes: «Les auteurs sacrés ont composé les quatre Evangiles en triant certains détails entre beaucoup de ceux que la parole ou déjà l’écriture avaient transmis, en faisant entrer quelques-uns en une synthèse ou en les exposant en tenant compte de l’état des Églises, en gardant enfin la forme d’une proclamation, afin de pouvoir ainsi toujours nous communiquer des choses vraies et authentiques sur Jésus» (n. 19).

Il n’est donc pas exclu que certaines références hostiles ou peu favorables aux Juifs aient comme contexte historique les conflits entre l’Église naissante et la communauté juive. Certaines polémiques reflètent des conditions de rapports entre juifs et chrétiens, bien postérieures à Jésus.

Cette constatation reste capitale si l’on veut dégager le sens de certains textes des Evangiles pour les chrétiens d’aujourd’hui.

Il faut tenir compte de tout cela quand on prépare les catéchèses et les homélies pour les dernières semaines du Carême et la Semaine Sainte (cf. déjà «Orientations» II, et maintenant aussi «Sussidi» per l’Ecumenismo della Diocesi di Roma, 1982, 144 b). 

B) Il est clair, d’autre part, qu’il y a eu des conflits entre Jésus et certaines catégories de Juifs de son temps, dont aussi les Pharisiens, depuis le commencement de son ministère (cf. Mc 2, 1-11. 26; 3, 6 etc.). 

C) Il y a en outre le fait douloureux que la majorité du peuple juif et ses autorités n’ont pas cru en Jésus, un fait qui n’est pas seulement historique mais a une portée théologique, dont St. Paul s’efforce de dogager le sens (Rom ch. 9-11). 

D) Ce fait, accentué au fur et à mesure que la mission chrétienne se développait, surtout parmi les païens, a porté à une rupture inévitable entre le Judaïsme et la jeune Église, désormais irréductiblement séparés et divergents au niveau même de la foi, et cette situation se reflète dans la rédaction des textes du Nouveau Testament et en particulier des Evangiles. Il n’est pas question de diminuer ou dissimuler cette rupture, ce qui ne ferait que nuire à l’identité des uns des autres. Pourtant, elle ne supprime certainement pas le «lien» spirituel dont parle le Concile (Nostra Aetate, n. 4) et dont on se propose ici d’élaborer quelques dimensions. 

E) En réfléchissant sur ce fait, à la lumière de l’Ecriture et notamment des chapitres cités de l’épître aux Romains, les chrétiens ne doivent jamais oublier que la foi est un don libre de Dieu (cf. Rom 9, 12) et qu’on ne juge pas la conscience d’autrui. L’exhortation de st Paul à ne pas «s’enorgueillir» (Rom 11, 18) à l’égard de la «racine» (ibid.) prend ici tout son relief. 

F) On ne peut pas mettre sur le même plan les Juifs qui ont connu Jésus et n’ont pas cru en lui, ou bien qui se sont opposés à la prédication des apôtres, et les Juifs qui sont venus après et ceux d’aujourd’hui. Si la responsabilité de ceux-là dans leur attitude envers Jésus reste un mystère de Dieu (cf. Rom 11, 25), ceux-ci sont dans une situation toute différente. Le Deuxième Concile du Vatican (Déclaration «Dignitatis Humanae» sur la liberté religieuse) enseigne que «tous les hommes doivent être soustraits à toute contrainte… de telle sorte qu’en matière religieuse nul ne soit forcé d’agir contre sa conscience, ni empêché d’agir… selon sa conscience…» (n. 2). Ceci est une des bases sur lesquelles s’appuie le dialogue judéo-chrétien, prôné par le Concile. 

2. La question délicate de la responsabilité de la mort du Christ doit être vue dans l’optique de la Déclaration conciliaire «Nostra Aetate, 4» et des «Orientations et Suggestions» (§ III). «Ce qui a été commis durant la Passion ne peut être imputé ni indistinctement à tous les juifs vivant alors, ni aux juifs de notre temps», encore que «des autorités juives, avec leurs partisans, aient poussé à la mort du Christ». Et plus loin: «Le Christ, … en vertu de son immense amour, s’est soumis volontairement à la passion et à la mort, à cause des péchés de tous les hommes et pour que tous les hommes obtiennent le salut» (Nostra Aetate, 4). Le catéchisme du Concile de Trente enseigne en outre que les chrétiens pécheurs sont plus coupables de la mort du Christ que les quelques juifs qui y ont pris part — ceux-ci, en effet, «ne savaient pas ce qu’ils faisaient» (Lc 23, 34), et nous, nous ne le savons que trop bien (Pars I, caput V, Quaest. XI). Dans la même ligne et pour la même raison, «les juifs ne doivent pas, pour autant, être présentés comme réprouvés par Dieu ni maudits comme si cela découlait de la Sainte Ecriture» (Nostra Aetate; 4) même s’il est vrai que «l’Église est le nouveau peuple de Dieu» (ibid.). 

 

V. La Liturgie 

1. Juifs et chrétiens font de la Bible la substance même de leur liturgie: pour la proclamation de la parole de Dieu, la réponse à cette parole, la prière de louange et d’intercession pour les vivants et pour les morts, le recours à la miséricorde divine. La liturgie de la Parole, dans sa structure propre, trouve son origine dans le Judaïsme. La prière des Heures et autres textes et formulaires liturgiques ont leurs parallèles dans le Judaïsme, ainsi que les formules mêmes de nos prières les plus vénérables, dont le Pater. Les prières eucharistiques s’inspirent aussi de modèles de la tradition juive. Comme le dit Jean Paul II (allocution du 6 mars 1982): «la foi et la vie religieuse du peuple juif, telles qu’elles sont professées et vécues encore maintenant, (peuvent) aider à mieux comprendre certains aspects de la vie de l’Église. C’est le cas de la liturgie…». 

2. Ceci est particulièrement visible dans les grandes fêtes de l’année liturgique, comme la Pâque. Les chrétiens et les juifs célèbrent la Pâque: Pâque de l’histoire, tendue vers l’avenir, chez les juifs; Pâque accomplie dans la mort et résurrection du Christ, chez les chrétiens, bien que toujours en attente de la consommation définitive (cf. supra n. 9). C’est encore le «mémorial», qui nous vient de la tradition juive, avec un contenu spécifique, différent dans chaque cas. Il y a donc, de part et d’autre, un dynamisme pareil: pour les chrétiens, il donne son sens à la célébration eucharistique (cf Antienne «O sacrum convivium»), célébration pascale et, en tant que telle, actualisation du passé, mais vécue dans l’attente «jusqu’à ce qu’il vienne» (1 Cor 11, 26). 

 

VI. Judaïsme et christanisme dans l’histoire 

1. L’histoire d’Israël ne finit pas en 70 (cf. Orientations, II). Elle se poursuivra, en particulier dans une nombreuse Diaspora qui permettra à Israël de porter dans le monde entier le témoignage — souvent héroïque — de sa fidélité au Dieu unique et de «l’exalter face à tous les vivants» (Tobie 13, 4), tout en conservant le souvenir de la terre des ancêtres au cœur de ses espérances (Seder pascal).

Les chrétiens sont invités à comprendre cet attachement religieux, qui plonge ses racines dans la tradition biblique, sans pour autant faire leur une interprétation religieuse particulière de cette relation (cf. Déclaration de la Conférence des évêques catholiques des États-Unis, 20 novembre 1975). 

Pour ce qui regarde l’existence de l’Etat d’Israël et ses options politiques, celles-ci doivent être envisagées dans une optique qui n’est pas en elle-même religieuse, mais se réfère aux principes communs de droit international.

La permanence d’Israël (alors que tant de peuples anciens ont disparu sans laisser de traces) est un fait historique et un signe à interpréter dans le plan de Dieu. Il faut en tout cas se débarrasser de la conception traditionnelle du peuple puni, conservé comme argument vivant pour l’apologétique chrétienne. Il reste le peuple choisi, «l’olivier franc sur lequel ont été greffés les rameaux de l’olivier sauvage que sont les gentils» (Jean Paul II, 6 mars 1982, avec allusion à Rom 11, 17-24). On rappellera combien le bilan des rapports entre Juifs et Chrétiens durant deux millénaires a été négatif. On relèvera combien cette permanence d’Israël s’accompagne d’une créativité spirituelle continue, dans la période rabbinique, au Moyen Age, et dans la période moderne, à partir d’un patrimoine qui nous fut longtemps commun, si bien que «la foi et la vie religieuse du peuple juif telles qu’elles sont professées et vécues encore maintenant (peuvent) aider à mieux comprendre certains aspects de la vie de l’Église» (Jean Paul II, 6 mars 1982). La catéchèse devrait, d’autre part, aider à comprendre la signification, pour les juifs, de leur extermination pendant les années 1939-1945 et de ses conséquences. 

2. L’ éducation et la catéchèse doivent s’occuper du problème du racisme, toujours actif dans les différentes formes d’antisémitisme. Le Concile le présentait ainsi: «En outre, l’Église ne pouvant oublier le patrimoine qu’elle a en commun avec les juifs, et poussée, non pas par des motifs politiques, mais par la charité religieuse de l’Evangile, déplore les haines, les persécutions et toutes les manifestations d’antisémitisme, qui, quels que soient leur époque et leurs auteurs, on été dirigées contre les juifs» (Nostra Aetate, 4). Et les «Orientations» de commenter: «les liens spirituels et les relations historiques rattachant l’Église au judaïsme condamnent, comme opposée à l’esprit même du christianisme, toute forme d’antisémitisme et de discrimination, que la dignité de la personne humaine, à elle seule, suffit d’ailleurs à condamner» (Orientations, préambule). 

 

VII. Conclusion

L’enseignement religieux, la catéchèse et la prédication doivent préparer, non seulement à l’objectivité, la justice, la tolérance, mais à la compréhension et au dialogue. Nos deux traditions sont si parentes qu’elle ne peuvent s’ignorer. Il faut encourager une connaissance mutuelle à tous les niveaux. On constate en particulier une pénible ignorance de l’histoire et des traditions du Judaïsme dont seuls les aspects négatifs et souvent caricaturaux semblent faire partie du bagage commun de beaucoup de chrétiens. 

C’est à cela que ces notes voudraient remédier. Ainsi le texte du Concile et des «Orientations et Suggestions…» seront plus aisément et plus fidèlement mis en pratique. 

Johannes Card. Willebrands
(président)

Pierre Duprey
(vice-président)

Jorge Mejia
(secrétaire)

(Mai 1985)


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